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Chroniques maniaques
4 décembre 2006

La lutte – Est-ce aimer ? (Alain Bashung)

Lutter. Me battre. Pour la garder avec moi. Je ne peux pas. Je n’ai pas le choix. Je ne peux pas l’empêcher de vivre autre chose. Avec un autre. Je n’en ai pas le droit. Même si cela me fait mal, même si je ressens cette profonde tristesse à chaque pas vers un éloignement progressif mais apparemment inéluctable. A chaque fois qu’elle va le rejoindre. Que dois-je faire ? Précipiter les choses, lui dire qu’il serait mieux pour moi qu’on arrête tout de suite ? Je ne le crois pas, je ne suis pas prêt à faire face à la solitude totale. Et je ne peux pas le lui dire vraiment, lui coller une pression sur le dos. Au moins puis-je la laisser profiter de ces moments là, hors de mon champ d’influence. Faudrait-il que j’extériorise cette tristesse, que je la laisse sortir, de manière démonstrative, pour en faire une arme ? Une arme pour quel combat ? Un autre combat perdu d’avance ? Elle va s’en aller. Trois mois pour commencer. Voir son frère puis aux Pays-Bas. Loin. Il faudra que je m’habitue. A dormir seul. A être seul. A ne plus pouvoir partager mes doutes et mes craintes. A ne plus trouver le réconfort dans ses bras, la chaleur de son corps blotti contre le mien comme tous les soirs. Continuer à vivre. Panser cette blessure irrémédiable, tenter d’évacuer la culpabilité qui s’y associe, insidieuse et toujours présente. Et si rien de tout cela n’était arrivé ? Et si j’avais contrôlé plus tôt mon cerveau et mes pensées ? Où en serions-nous aujourd’hui ? Je ne le saurai jamais. Je ne peux que continuer à tourner et retourner à l’infini ces questions dans ma tête. Je suis fautif. Coupable. J’ai négligé d’entretenir la flamme discrète et ténue de notre amour, noyée sous la déferlante de mes émotions illusoires et déconnectées du réel. Serait-ce aimer que de lutter pour qu’elle reste ? Tenter de la reconquérir ? Promettre que tout va changer, qu’une page se tourne pour moi mais qu’elle doit faire partie du prochain chapitre ? La lutte est-elle nécessaire pour au moins démontrer que je tiens à elle ? Pour ne pas qu’elle croie que c’est facile pour moi, que je suis détaché, insensible à ce qu’il se passe, simplement attentif à ne pas retomber dans les pièges tendus par ma pensée ?

J’ai fait un rêve terrible hier après-midi. Un cauchemar. Je courais dans le dédale d’une grande maison, aux hauts plafonds et aux grandes pièces peintes en blanc, à peine meublées. Jusqu’à ce que je la trouve. J’entamais alors un long plaidoyer, pour tenter de me justifier, tenter de lui expliquer qu’il fallait qu’elle reste. Assise sur un lit, elle ne m’écoutait qu’à peine. Dure et froide, concentrée sur autre chose. Je rebondissais sans cesse sur ce mur, dans une effroyable sensation de m’enfoncer un peu plus à chaque fois que je reprenais la parole. Soudain, comme un boulet de canon, un jeune homme entre et se précipite sur le lit à côté d’elle, s’allongeant comme lové autour de son corps. Un gamin. C’est lui, ai-je pensé instantanément. J’ai continué à parler, de plus en plus tendu. A crier même, à frapper le sol de mes pieds, à retourner une chaise pour essayer de la plier sous mon poids, d’en rompre les pieds un après l’autre, pour passer ma colère, pour évacuer la rage d’avoir tout foiré. Rien n’y fera. Puis un homme entre, et me demande de partir. Les yeux baissés, j’obéis. Je sors de la pièce. Les quelques personnes que je croise dans le couloir, connues ou pas, m’ignorent, se détournent au moment où je tente d’accrocher leur regard, au moment où j’essaie de leur parler, de leur expliquer que je ne suis pas le dernier des salauds. Ils s’éloignent, me faisant signe de partir, refusant le contact. Une terrible sensation de solitude s’empare de moi. Je me mets à courir dans un dédale de couloirs, hurlant une peur sauvage, mêlée de rage. Je dévale quatre à quatre les marches d’un grand escalier, jusqu’à une lourde porte massive en bois. De l’autre côté je sors dans une grande rue, baignée par un soleil tiède et une lumière d’hiver. Je reste quelques instants sur le trottoir. Perdu. Le regard dans le vague. Ne sachant où aller. Ne sachant à qui parler. Ne sachant que faire. Je me mets à courir dans la rue, une rue en pente, rejoignant un grand boulevard. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis intimement convaincu que je ne suis pas à Paris. Je ne sais pas où je suis. J’ai seulement cette peur qui me colle à l’estomac. Puis je me réveille. Une boule au creux du ventre me broyant les tripes. Ce n’était qu’un cauchemar. La projection par mon inconscient d’une peur fondamentale. La peur d’être incompris. La peur de ma responsabilité totale et absolue. L’impossibilité de m’expliquer. De leur faire comprendre. De lui faire comprendre.

Je suis essoré. Vidé. Lavé à grandes eaux de mes désirs et envies. Sans plus retrouver l’énergie nécessaire pour projeter, élaborer, envisager, créer. Pas pour l’instant du moins. Faut-il que j’aille vite ou dois-je laisser le temps faire progressivement son œuvre, me briser un peu plus, laminer les derniers vestiges de ces quinze dernières années ? Avant de pouvoir me relever. Repartir. Redémarrer. Une nouvelle vie. Dans tous les domaines. Ils sont nombreux ceux qui me disent que ce doit être une période intéressante. Je ne sais pas. Pas encore. Avec le recul peut-être dans quelques semaines, mois ou années, je la regarderai avec amusement ou intérêt. Aujourd’hui c’est une période de souffrance contenue, de doutes irrépressibles. C’est contre cela que je lutte. Que je tente de lutter, plutôt. Contre ces doutes insidieux qui remettent en cause les fondements de ce que je suis. Contre cette tristesse fondamentale qui surgit, amplifiée par les événements. Contre ce désespoir qui ne demande qu’à s’installer tranquillement sous les habits plus gratifiants de la lucidité. Le plus difficile est-il passé ? Le grand chambardement, le bouleversement des fondements de ma vie ? J’ai frôlé l’idée de la mort de suffisamment près et suffisamment intensément pour pouvoir aujourd’hui la chasser lorsqu’elle s’avance, quelques pas derrière ce sentiment profond d’inutilité de ma vie. La lutte. Pour vivre. Je ne veux pas lutter. Je ne peux pas non plus me laisser glisser dans la sournoise spirale dépressive qui rôde encore tout près. Je ne peux que m’accrocher au temps, essayer d’en reprendre le contrôle, essayer de trouver ce difficile équilibre entre une reconstruction lente, pas à pas, et cette nécessité de franchir un cap, d’inverser la tendance, de passer de la réaction à l’action. Si c’est possible. Si c’est le bon moment. Avancer dans le noir en attendant que le tunnel s’éclaire enfin. Tenter de continuer à aimer ce monde qui s’enfuit, qui glisse entre mes doigts. D’entretenir ces relations qui semblent se distendre inéluctablement. Je ne suis plus une priorité pour qui que ce soit. En marge, en lisière de tous ces cercles d’amis qui nous entourent. Et je ne sais vraiment expliquer pourquoi. Faudrait-il que je lutte là aussi ? Lutter. Pour montrer que j’aime. Pour montrer que je suis. I am. I live. I matter. J’ai souvent peur de ne plus compter. Si j’ai compté un jour. Ma faute, nécessairement. Pour que le mouvement soit si général, si collectif. Ce mouvement de retrait. Je dois inquiéter. Ou décevoir. Je ne sais pas. Est-ce moi qui m’éloigne, ou eux ? Je ne sais pas. Je les aime. Toujours. Avec toute l’affection ou l’amour qu’il m’est possible de donner. Et j’ai peur. D’aimer trop. La lutte. Est-ce aimer ?

S'il suffisait de partir
Comme un voleur à la tire
Rejoindre là-bas
Les troupeaux de regrets
S'il suffisait de s'offrir
Au premier volcan

Est-ce aimer
Est-ce aimer
Est-ce une escale
En mer Egée
Est-ce un essaim d'abeilles
Au réveil
S'il suffisait d'orner la douleur
D'une plage de silence

J'ai pas souffert
J'ai pas suffi
Là où la rouille n'a que faire
De la mélancolie

http://www.fnacmusic.com/album/cf3e1fd3-ccd5-4a75-9ac5-328e750bdf38.aspx

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