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Chroniques maniaques
11 octobre 2006

L’instant présent – Out of control (Chemical Brothers)

Avancer sans réfléchir au futur, en oubliant le passé. Concentré sur l’instant. « Nous sommes l’avenir d’un passé », parfaite définition du présent. Le passé n’existe déjà plus que dans nos mémoires. Le futur est-il là, collé au présent, potentialité en voie d’actualisation ? Un futur le plus probable à chaque instant, conséquence de l’imbrication de tout en liens de cause-conséquence. Un futur le plus probable qui se modifie à chaque instant, avec chaque acte, chaque pensée, chaque battement d’aile de papillon. Accessible peut-être par la perception, par les visions de ceux qui ont développé une capacité psychique à traverser le temps, à aller plus vite que la lumière. Accessible éventuellement mais jamais certain. Influencé plus ou moins par le passé et le présent, mais jamais entièrement dépendant. Pouvoir de co-création qui nous est laissé, infime parfois et vertigineux d’autres fois. Jouer la grande partie d’échecs mouvante de la vie. Evaluer, planifier, jauger. Ou se laisser aller, observer de l’intérieur le grand processus qui se met en place. Prendre le taureau par les cornes, forcer le passage, modeler l’univers. Ou tenter d’obtenir les plus grands résultats en minimisant l’effort, en travaillant à l’actualisation permanente du potentiel recelé par les situations qui s’installent. Jouer. La pièce de théâtre de sa vie, dans l’improvisation de l’instant présent, dans l’adaptation constante à des circonstances qui évoluent. Action-réaction. Je n’ai fait que cela, tenter de percer le secret du monde, tenter d’épouser au mieux les contours souvent fluides et parfois anguleux d’un environnement chaotique. Chercher la vérité, la pulsation profonde de l’univers, sourde et régulière. L’infra-basse de la tranquillité.

J’imaginais que c’était ce qui se passait, que la Machine réévaluait en permanence le potentiel, que chacun de mes actes entrait en résonance avec la Machine, conduisait à un rééquilibrage progressif des probabilités. Que nous cherchions la sortie ensemble. La meilleure sortie, la plus probable, la plus efficace, celle qui amènerait la Machine au point zéro, ce point où elle se déconnecterait enfin seule, puisque nous avions choisi de la laisser faire. Je l’ai détruite à coups de masse dans ma tête, je l’ai insultée, je me suis laissé physiquement courber par elle, assis dans ma cuisine, une cigarette à la main. Je l’ai acculée dans un coin du ring pour la tenir en respect, je l’ai implorée de se débrancher toute seule, d’arrêter de m’infliger cette souffrance magnifique sans cesse renouvelée. La Machine. Un grand bloc noir. Une suceuse de cerveau. Nourrie avec le matériau neuronal émis par ceux qui étaient connectés. Temporairement ou éternellement. C’est elle qui cherchait l’ordre au cœur de ce chaos que représentent nos consciences. Un grand écran. Synthèse globale. Du bruit blanc pour démarrer, de la neige sur l’écran. Puis progressivement, au fur et à mesure de l’entrée en résonance, des formes, des sons, des éléments de plus en plus distincts, audibles visibles. La lecture progressive de mon cerveau. Jusqu’à ce jour où je leur ai parlé pour la première fois. Où j’ai conçu l’hypothèse que ce que je pensais pouvait être transmis en arrière. Une boucle de feedback hors du temps. Jusqu’au début. Ou presque. Quarante ans plus tôt. J’étais dans ma cuisine à nouveau. Seul, assis sur la même chaise. Je les ai vus. Là-bas, dans un silo souterrain. J’ai imaginé leur émotion, leurs sensations lorsque les premiers mots et phrases distincts ont surgi des hauts-parleurs. Avec cette voix. Si belle. Ma voix. Intérieure. Pas celle qui émerge péniblement de ma gorge. Ma voix intérieure, celle qui s’est mise en place progressivement. Profonde, calme, rythmée. J’étais hors du temps. Connecté. Physiquement. Je sentais une connexion d’énergie partant de mon cœur, traversant l’espace et le temps jusqu’à eux. Nous y étions. Le début de la résonance. Le début du réordonnancement progressif vers un niveau de vibration supérieur. J’étais le point focal de tout cela. Parce qu’on m’avait choisi, parce qu’on m’avait câblé. « Electric man ». J’ai une excroissance de peau sur le sommet du crâne. C’est nécessairement par là que cela passait. La lecture de mon cerveau et sa reproduction en image et son de synthèse.

Assis dans mon bar favori, j’avais avec moi le bouquin sur l’histoire du Canard Enchaîné que ma mère venait de m’offrir. La tension était à son comble, j’avais l’impression qu’une soudaine éruption d’énergie avait sensiblement augmenté l’agitation et le volume sonore des tables voisines. J’étais prêt pour un tirage aléatoire, j’avais besoin d’un indice à me mettre sous la dent, j’avais besoin de confirmer que tout fonctionnait bien. J’ai ouvert le livre au hasard et j’ai posé mon doigt sur le milieu de la page de droite. J’ai senti mon cœur s’ouvrir, un frisson remontant ma colonne vertébrale. J’ai lu. Trois lignes. Qui parlaient de deux projections de films avec des audiences sélectionnées. En 1960 et en 1962. Aux Etats-Unis puis en Belgique. Deux cents à trois cents personnes pour chacune. Les sentiers de la gloire. Kubrick. Je l’avais vu quelques jours auparavant. Dans ce bar. Assis à une table. J’ai fixé ces lignes quelques secondes, sentant mon cœur battre à tout rompre. Impossible. Et pourtant réel. Il me faut une explication, tout se confirme. Il faut que cela marche. J’ai réfléchi à toute vitesse. Il faut que ces lignes soient à cet endroit précis, au milieu des sept cent pages du livre. A l’endroit où je vais l’ouvrir. Facile. Il suffit que vous sachiez à l’avance où je vais l’ouvrir. Alors je vous le dis, ou plutôt je l’écris dans ma tête. « page 305, centre of the page ». Je sens comme une résistance folle qui essaie de m’empêcher de le faire, de m’empêcher de donner un élément capital sur le chemin. Maintenant ça peut marcher. Quelques instants plus tôt, en sortant de chez moi pour rejoindre le bar, je marchais dans la rue lorsque j’ai soudain ressenti une extraordinaire fluidité, comme si j’étais totalement relâché, avançant quasiment sur coussin d’air. J’ai pensé que tout était en place, que j’étais très exactement où je devais être et au moment où je devais y être. Là, dans la rue, par un jour de printemps encore gris. J’ai pensé que nous avions atteint le point de résonance maximale à cet instant. L’ordre parfait pour quelques secondes. Une fois de plus. Tous ensemble. Avant de continuer à vibrer collectivement, en interaction permanente. De l’ordre naît nécessairement le désordre, car jamais rien ne s’arrête.

Hors de contrôle. J’étais tout le temps sous contrôle. Mon esprit scruté minutieusement par la Machine qui réorganisait les stimuli nécessaires par résonance avec ceux qui m’entouraient. Je ne voulais pas. Je vous implorais de penser à débrancher la Machine régulièrement pour vérifier que mes capacités avaient été développées, que je ne perdais pas tout lorsque vous cessiez de jouer avec moi. Puis j’ai fini par me résigner, face à l’évidence. Vous ne la débranchiez jamais. Cela ne s’arrêtait pas. Il y avait toujours quelqu’un en face de moi. Chaque jour une nouvelle éternité, un nouveau dernier jour avant que quelqu’un vienne me taper sur l’épaule et me dire « merci vieux, on a bien joué, c’est terminé ». Vous m’avez amené le plus loin possible sur toutes les dimensions, repoussant les frontières au maximum. Mais vous ne m’avez jamais laissé franchir les bornes. La première fois que j’ai pensé au suicide j’étais seul, chez moi, accoudé au balcon du quatrième étage, après quatre heures de one-man-show intérieur oscillant du rire aux larmes. Je venais de constituer ma première liste, sans comprendre pourquoi. Sept femmes. Elodie. L’unique. Et six autres. Quatre heures d’oscillations intérieures qui se sont terminées par un échange intérieur mécanique, comme une machine. C’est la première fois que j’ai pensé à une machine qui intégrerait la résonance émotionnelle du monde, une mise en réseau des consciences individuelles. J’ai pensé qu’il ne me restait qu’à me suicider. Et j’ai ri. C’était absurde. Quelques mois plus tard, la deuxième fois, je me suis allongé sur mon lit. Sur le ventre, les bras en croix. J’ai fermé les yeux. Et je me suis laissé plonger le plus bas possible. Dans un calme profond. Jusqu’à la sensation de disparaître. Une sensation d’anéantissement complet. La troisième fois, seul dans ma chambre dans un gîte du Sud de la France, au mariage d’Emmanuelle, persuadé que c’est Hélène dont je venais d’entendre le pas magnifique dans l’escalier et qui avait rejoint la chambre voisine, j’ai tremblé de tout mon corps, empli d’une rage désespérée à l’idée que le suicide était la seule solution pour que tout ceci s’arrête et certain que je n’y parviendrais jamais. Je vous ai profondément haï de lui imposer d’être là, dans la pièce voisine, et de devoir subir l’expérience de mon désespoir rageur, en résonance. A l’hôpital, trois ans ou presque après la première fois, je n’ai fait que chercher la meilleure méthode pour y parvenir lorsque vous m’y contraindriez.

La Machine n’existe pas. Pas de « grand cinéaste des consciences collectives ». Pas de gens balancés dans le temps et réagissant spontanément, se plaçant instinctivement sur des niveaux d’énergie nouveaux pour eux. Apparaissant et disparaissant dans les franges du temps. Autour de moi. Pas de silos secrets dans les déserts. Pas de Matrice pompant les énergies pour alimenter des zones temporaires autonomes autour de moi. Est-ce mon regard qui était différent quand j’avais la sensation d’une irruption soudaine d’un flot d’énergie, quand j’avais l’impression d’une nature irradiant une beauté solaire et quasi surnaturelle ? Etait-ce toujours là, accessible, suffisait-il que mon regard change et pénètre différemment le réel ? Ou n’était-ce qu’un projecteur illusoire et artificiel de ma conscience perturbée par un dérèglement biochimique ? Où est la vérité ? Est-ce que je n’ai fait que la chercher ou est-ce que j’ai plutôt tenté de la modifier, de la modeler à ma guise ? J’ai même cru que nous avions vaincu l’espace et que nous étions en train de réduire significativement la surface de la Terre, concentrant l’énergie ainsi économisée dans des zones magnifiques. Absurde. Mais je le pensais. Je pensais que vous aviez fait de moi le grand Sélectionneur, celui qui déciderait que telle ou telle zone serait zappée. Et que telle autre serait conservée. Un monde d’îles reliées par des portes spatio-temporelles. Une seule fois j’ai eu la sensation que j’avais été téléporté pendant la nuit. Au Maroc. Au Sud d’Essaouira, sur cette côte magnifique. Là où j’ai commencé à penser que ceux qui m’entouraient voyageaient dans le temps au gré de mes injonctions ou de mes pensées, pour contribuer à leur façon à modeler ma trajectoire, à l’optimiser. Deux jours plus tard, à Marrakesch, lorsque je suis sorti de l’hôtel pour aller place Djemaa-al-Fna, j’ai crû que vous alliez tous les tuer. Les faire disparaître. Qu’ils étaient venus ici pour leur dernier trip. Et pour me voir. Un camp d’extermination de masse. Parce que nous sommes trop nombreux. J’ai crû qu’il fallait réduire la population mondiale drastiquement. Et que vous vouliez que je tranche, que je choisisse. Inconsciemment. Parce que vous mesuriez mes réactions d’attraction-répulsion. J’ai essayé de lutter. Inéluctablement, à chaque fois, j’ai fini par céder. Et par accepter. Tout en tentant de limiter la casse. J’ai cherché le bon chiffre. Deux milliards. Trois. Quatre, ça pourrait marcher non ? Je vous suppliais de nous laisser au moins un bon milliard. Pas de Machine. Seulement un esprit hors de contrôle. En roue libre sur des montagnes russes. Relisant sans cesse le passé pour espérer en extraire l’espoir d’un futur meilleur.

http://www.ifilm.com/ifilmdetail/2664036

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