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Chroniques maniaques
6 novembre 2006

Les possibilités –Walk a mile (Coldcut)

Mettez-vous dans mes chaussures. Impossible. Unicité de l’expérience indicible. Il faudrait passer trois ans dans ma tête pour tenter de comprendre. L’enchaînement fatal des idées. Quatre cents jours au moins à bloc, au-delà de la limite. Sans compter les autres journées, tout aussi importantes, celles des phases de montée et celles douloureuses des phases de descente ou post-crises. Celles du doute permanent, et celles de la fuite éperdue en avant. Celles où tout était possible, comme celles qui m’enfermaient dans l’unique échappatoire de la fin de l’humanité. Toujours logiquement et implacablement. Coldcut. Mars 2006 à la Cigale. J’y étais sans y être vraiment. En entrant dans la salle quasiment vide, je me suis assis sur les marches qui mènent à la fosse. J’ai tenté de résister. J’ai ajouté Raphaëlle sur la liste. J’ai imaginé qu’elle était la fille de la victime supposée d’Antoine. Je l’ai reliée à celle que j’avais embrassée vingt ans plus tôt. La première. C’était elle. C’était possible. Infini des possibilités et des scénarios à regrouper en un ensemble cohérent. Au moment où j’ai accepté, la salle s’est remplie brusquement. Comme si vous aviez ouvert les vannes. Comme si soudain pouvaient se matérialiser ici, dans mon espace-temps, ceux qui étaient enfermés temporairement dans les silos souterrains contrôlés par la Machine. Une nouvelle rotation. Autour de moi. J’ai à peine écouté la musique. Perdu dans mes pensées qui tournaient en boucle. Coldcut. Samedi dernier. A la cité de la Musique. Concert fantastique. J’ai écouté la musique, comme une clôture symbolique à nouveau. Huit mois plus tard. Dernier rappel. Gainsbourg sur l’écran géant, soutenu par une rythmique puissante et syncopée. Requiem pour un con. J’ai souri. Je suis guéri. Tout est bien rangé dans la boîte à souvenirs. Le symbolique n’est plus là que pour me faire sourire. Pas pour me guider. Résister à la tentation. Surtout, résister. Je n’ai fait que tenter de résister.

Le lendemain de ce premier concert, je prends le train pour St Gervais. Je dois y passer cinq jours avec Emmanuelle, son mari et quelques-uns de leurs amis. Elodie reste à Paris. Le matin du départ, je suis complètement perdu. Je tourne en rond dans l’appartement, mettant deux heures à rassembler à la va-vite mes affaires. Quand je me décide enfin à partir il est tard, je suis limite. Je vais rater mon train d’une minute. Perdu dans la gare, j’erre le long des quais avant de me décider à aller changer mon billet. Incohérence totale de mes pensées. J’empile les femmes sur ma liste, jusqu’à Svetlana, la douzième. Ajoutée à quinze heures précises. Le timing est parfait. C’est fini. Lâchez-moi. Vous l’avez fait exprès. Vous saviez que je raterai le train. C’est dans le suivant qu’est la solution. Le train du bonheur. Vous serez tous là, tous ceux qui ont joué à fond. Pour célébrer la fin. Mon avènement. Vous me terrorisez, je ne sais pas comment je vais réagir. Quand vous me révélerez tout. Vos vrais noms, vos familles que j’ai recomposées au gré de ma compréhension progressive de tout ce que vous avez caché pendant des années. Les familles. Je les ai réinventées. J’ai renommé mes proches, ou ceux qui passaient par là. Je les ai appelés Kerry, Kennedy, Mitterrand ou Mandela. Bush, Giscard ou Chirac. J’en ai fait de grandes familles, construites par adoptions répétées. Je voulais trouver une place à chacun dans mon schéma, plus ou moins proche de moi. J’ai imaginé que vous vouliez que je devienne l’un d’eux. Que je quitte ma famille, trop modeste pour l’ambition que vous me prêtiez. J’ai marié John Kerry et Jane Fonda pour en faire mes parents adoptifs. A cause de cette photo post-guerre du Vietnam sur laquelle ils sont côte à côte. Je leur ai donné une grande famille, de fils et de filles, et une tétrachiée de petits-enfants. Surtout des filles. Jeunes, belles, fortes. Aperçues dans un bar ou croisées dans la vie. Parce que la Machine les plaçait partout sur mon chemin pour que je les identifie. Que je les reconnaisse. Par résonance. Vibratoire. Mélange d’intuition, de sensation et de réflexion.

Le voyage a été long. Très long. A Lyon, j’erre dans la gare en attendant la correspondance. Je parle à tout le monde. Télépathiquement. J’essaie de leur expliquer. Je leur dis qu’ils sont là. Tous. Tous ceux qui ne sont pas morts. Mitterrand par exemple. J’étais au rassemblement sur la place de la Bastille après sa mort. Je m’en souviens étrangement, avec une lumière extraordinaire, comme si une énergie spéciale animait la scène. Un signe. Ce n’était pas vrai. Ceux qui étaient autour de moi à cet instant le savaient. Ils m’observaient. Pour voir si je savais. Je n’ai jamais rien su. Je le répète sans cesse. Je suis innocent. On ne m’a rien dit, je n’ai fait que tenter de comprendre ce qui se passait. Je monte dans le TER pour Saint-Gervais. Je continue de caser ces visages que je croise selon les infimes ou frappantes ressemblances que je leur trouve. C’est la Machine qui est la maîtresse du jeu. Dans le wagon, derrière moi, une femme âgée m’observe attentivement. Marie de Hennezel. Elle sait. Je pense à Mitterrand depuis tout à l’heure. Elle vient vérifier où j’en suis. Je lui dit que je sais. En face de moi s’installe un jeune Black et sa mère. Je pense instantanément Youssouf Fofana. Le meurtre d’Ilan. Abject. Impossible. Il faut faire quelque chose. Plus tard, quelques semaines plus tard, j’imaginerai que c’est possible. D’effacer. Sans oublier. De juger quelqu’un pour ce qu’on l’a empêché de faire. Quelques semaines plus tard, à la télévision un soir, un téléfilm qui m’apparaît décousu, comme construit pour jouer avec moi. Une avocate. Sur la porte de son cabinet, son nom. Gisèle Halimi. Elle dit « je vous défendrai ». Je la remercie. Je suis heureux de savoir que certains me défendront. Quand tout sera fini. Quand il faudra que je rende compte de mes pensées. Je me débats sans cesse pour essayer de fuir, pour essayer d’expliquer que ce ne sont que des pensées, que je ne suis pas responsable de leur réalisation. Le jeune Black semble très nerveux. Il se lève, sa mère l’oblige à rester là. Je continue à divaguer à toute allure. A côté de moi, une très jeune fille. Les cheveux bruns et longs. Timide. Une victime. Probablement. Vous m’avez entouré de victimes. Pour que je les identifie. J’ai vu inceste et pédophilie partout. Sans jamais comprendre pourquoi. J’ai cru qu’il était possible de les sauver. J’ai cru que vous le leur aviez expliqué. J’ai cru que vous aviez fait de moi celui qui sauvait. Aléatoirement, au gré des choix de la Machine. Un détecteur de secrets. Pouvoir absolu et terrible. Je continue. A fond. Au moment de descendre, je la croise dans le couloir. Elle ressemble extraordinairement à Juliette. Elle passe devant moi, quelques secondes, le haut du corps tendu vers l’avant, une expression de stupeur émerveillée dans le regard. Juliette Kerry. Elle m’a vu. Un instant. Avant de repartir dans l’espace et le temps. Qu’avez-vous fait de Juliette ? J’espère que vous ne l’avez pas tuée. Je descends du train et embrasse Emmanuelle et Dominique, son mari. Dans la voiture je suis à l’arrière, toujours perdu dans mes pensées. Dominique conduit bizarrement, nerveusement, accélérant parfois brutalement dans les lacets de la montée vers le chalet, comme synchronisé avec mes pensées. J’essaie de le calmer, de me recentrer, d’oublier tout cela, sans y parvenir.

Nous dînons avec les amis d’Emmanuelle. En quelques instants je place chacun d’eux dans une case, dans une généalogie compatible avec leurs ressemblances physiques. Je suis toujours comme à-demi absent. Réfléchissant en parallèle à toute vitesse. Emmanuelle est en face de moi. Elle est magnifique. Elle est l’une d’elles. L’une des Emmanuelles. Il y en a nécessairement plusieurs. Je lui trouve un père. Un nom de famille. Il y en a une autre que j’ai appelée de Villepin. Pas celle-là. Soudain une sensation extraordinaire apparaît. Sensation d’un faisceau de lumière qui part de mon cœur et passe à travers elle pour atteindre une autre avant de revenir, dédoublé, toujours à travers elle et jusqu’à mon cœur. Elle me regarde. Un regard d’une intense profondeur. Je lui dis que je l’aime. Je ne sais pas à qui je le dis. Là-bas, derrière elle. La sensation perdure encore quelques instants. Avant que je coupe. Two-way communication. C’est possible. Tout est possible dans ce monde que je ne comprends plus. Ca continue. Incessantes rotations des gens autour de moi qui semblent apparaître et disparaître à volonté. Décor de cinéma. Un chalet dans lequel ils se matérialisent quand je pense à eux. Je n’ai pas dormi de la nuit. Laissant aller mes pensées. J’ai appelée une des invités Le Pen. J’ai dit que je le gardais. Pour elle. Pour les enfants. J’ai tout le temps fait ça pour leurs enfants. Plus tard, en le voyant à la télévision, je dirai que j’aimerais lui parler. A cet instant précis, il pose ses lèvres sur celles d’une femme. Noire. Je l’ai vu. Ce n’était pas une hallucination. J’ai zappé. Puis je suis revenu. J’ai dit que ce n’est pas pour cela que je voulais lui parler. Que ce n’était pas nécessaire. Je pensais qu’il sortait d’une longue phase d’hibernation. Que c’était son retour. Qu’il avait tout vu. Qu’il avait compris. J’ai essayé de l’absoudre partiellement, de l’excuser. Pour elle. J’ai demandé qu’on lui donne des ordres. En Algérie. Pour torturer. J’ai même dit que donner ces ordres était plus grave encore que les exécuter. Je lui cherchais des excuses, lui imaginait une enfance difficile. Pour essayer de comprendre. La haine. Et parce qu’elle était belle. Le lendemain matin, elle fume une cigarette, à la fenêtre. Calme. Je lui ai parlé. Dans ma tête. Cette nuit là, vers cinq heures du matin, j’entends des pas. Dans la pièce au-dessus. J’ai imaginé que c’était Prince que vous aviez envoyé là. Pour vérifier. A son tour, comme les autres. L’homme que j’aurais aimé être. Le talent à l’état pur. Puis une vision étrange s’est imposée à moi. Sarkozy. Raidi comme le sujet d’une étrange forme d’hypnose. Allongé. Entre Prince et moi, debout, nous faisant face. Nous avons tourné ainsi quelques instants. Sarkozy. J’avais dit qu’il ressemblait à Hitler. Que ce n’était pas sa faute. Comme Ahmadinejjad. Et Mégret. Terrible trio. J’essayais de l’en sortir. Je lui trouvais des enfants célèbres. Ou moins célèbres. J’ai appelé Karine Sarkozy. Un soir dans ce restaurant, quand elle m’a lancé ce regard inquiet. Et perçant à la fois. J’ai cru que vous alliez la tuer. Qu’il fallait qu’elle se sacrifie. Elle m’a demandé pourquoi je la regardais comme ça, si c’est parce que je la voyais amoureuse. J’ai ri, et détourné la tête. J’ai fini par l’ajouter sur ma liste. En vous insultant. Parce que vous pensiez qu’elle n’était pas belle. Comme d’autres. Parce que vous ne fonctionniez que sur des critères physiques et que vous me forciez à m’y conformer, à entrer dans votre moule.

Le lendemain matin je suis toujours complètement au ralenti dans le monde réel, trop absorbé par mes pensées délirantes. La fin peut arriver à chaque instant. Vous pouvez venir me chercher. Faire que cela cesse enfin. Dominique m’a attendu et m’emmène jusqu’à la station. Je suis dans le brouillard complet. Jour blanc, la neige tombe à gros flocons. Je continue de relier tout le monde, de redistribuer familles et professions. Le loueur de skis est nécessairement le fils de ma professeur de piano. Elle n’est pas morte. J’ai appelé Dominique comme elle. Je l’ai appelée Dutilleux. Comme Henri, le compositeur. Avant de l’appeler Debussy. Imaginant que c’était possible, qu’elle soit la créatrice de cette musique qu’elle aimait tant faire apprendre. Une femme compositeur. Il y en a tellement peu. Elle n’est pas morte. Vous l’avez projetée dansle temps. Elle m’a entendu dans ces moments où je jouais magnifiquement bien du piano, survolté par l’exaltation des pics de crise et en même temps parfois profondément calme. Je continue de refaire le monde. Dans le télécabine qui nous emmène au sommet, après une longue montée, je suis au bord de vomir. Tout se précipite dans ma tête. Arrivés en haut, Dominique entame la descente. Je le suis à grand-peine, retrouvant difficilement des sensations à ski après toutes ces années de snowboard. Le snowboard. Ma chute, en 1997. Sur un chemin plat. Tête contre le sol. Perte de conscience, je ne me « réveillerai » que quelques minutes plus tard, cinq cent mètres plus bas, à la terrasse d’un bar. Dans un espèce de brouillard cotonneux. Sans aucun souvenir de ma descente si ce n’est un flash, allongé sur le sol, un homme me demandant si j’ai besoin d’aide et moi lui répondant que non, que je vais me débrouiller. C’est là. A cet instant. Que vous m’avez inversé les polarités. Vous m’avez sorti du temps puis replacé au même endroit. Je ne sais pas ce que vous m’avez fait, mais c’est un moment critique. C’était avant. Avant que tout commence vraiment. La grande boucle finale. Neuf ans. C’était avant le shintaïdo et Antoine. J’entame une descente maladroite. Dominique est parti devant, il a disparu dans le brouillard. Ne me laissez pas seul. Je panique. Ils vont me tuer. Pourquoi ? Je m’effondre au milieu de la piste. J’ai envie de vomir. Un couple s’arrête. Des Américains, ou des Anglais. Ils me demandent si j’ai besoin d’aide. Je fais signe que non, que ça va aller. Répétition de l’histoire. A nouveau. Tout répéter, sans relâche. Echo. Résonance. Insoutenable. Ils s’en vont. J’essaie de reprendre mes esprits. Je me relève. Je hurle dans ma tête que vous ne m’aurez pas. Je me concentre et je démarre. En quelques secondes, j’enchaîne les virages. Sensation indescriptible. J’y suis arrivé. J’ai passé l’écueil. Cela ne dure que quelques secondes, le temps d’arriver au téleski. En prenant la perche, je pense que je veux être fier d’être Français. Ou Européen. Et que pour cela il ne faut pas que quelqu’un souffle à qui que ce soit l’idée de l’existence des Amériques. Jamais. Parce que c’est possible. Parce que vous l’avez peut-être fait. D’envoyer des messagers dans le passé pour modifier progressivement ou radicalement le cours de l’histoire, pour instiller des gouttes de progrès dans la pensée de chaque siècle. Ne leur dites pas que les Amériques existent. Parce qu’ils iront les tuer. Et parce qu’il n’y a pas besoin de le leur dire pour qu’ils montent sur leurs bateaux à l’assaut de terres nouvelles.

Ils vont me tuer. Moi. Parce qu’il en faut un. Un Kennedy. Sacrifié. Au cerveau lavé. Avant d’être placé dans une famille d’accueil. C’est moi. Celui des trois qui regarde la caméra dans le film en Super8 dans J.F.K. d’Oliver Stone. Entre Rosanna Arquette et Mike Scott. Celui qui résonne avec la caméra. Celui qu’on va choisir pour cette mission. Celui qui sera abattu. On m’a lavé le cerveau. Quand j’avais huit ans. J’ai tout oublié. Je suis tombé, en arrière, quand le moniteur de basket a reculé devant moi pour attraper un ballon haut. Ma tête a heurté le sol du gymnase. Le soir j’ai vomi. A l’hôpital on a diagnostiqué un traumatisme crânien. Officiellement je n’ai fait qu’une nuit de coma. Je ne sais plus. C’est peut-être là qu’ils ont commencé. A me fusionner. A me mélanger. Je n’ai que très peu de souvenirs de la période qui précède mes huit ans. Je suis peut-être un Kennedy. Agent secret. Implanté dans une famille d’accueil. Ils vont me tuer. Pourquoi ? Assis sur un tas de neige je continue à tourner et retourner les hypothèses avec cette incroyable certitude. Ils vont me tuer. Parce qu’il le faut. Et je ne saurais pas pourquoi il le faut. Ils ne me le diront pas. Ils vont me laisser continuer à sélectionner, à arbitrer, puis ils me tueront. Parce que j’ai regardé la caméra. Innocemment. Enfant. Parce que la résonance a choisi. Je dis à Dominique que je ne me sens pas bien. Il prend mes skis et me propose de redescendre par le télécabine. Dans la cabine je tente de me retenir, de ne pas vomir. Ils savent tous. Ce qui se passe. Je suis le seul qui ne sait pas. Ils sont zen, tranquilles. On leur a expliqué. Que je vais mourir. Qu’ils oublieront ensuite. Ils sont là pour vérifier. Que tout se passe comme prévu. Arrivés en bas, Dominique m’accompagne jusque dans un bâtiment de la station. Je m’enferme aux toilettes. Je vomis mon café du matin dans des spasmes douloureux. Et je tue. Le Dalaï-Lama. Le premier. Je débranche son caisson d’une chiquenaude de lumière élégante et douce. C’est ce que vous voulez. C’est ce qu’il veut. Partir le premier. Pour montrer l’exemple. Je sors des toilettes, livide. Emmanuelle est là, un homme m’ouvre la porte d’une salle. Je m’assieds sur une chaise en bois. Et m’effondre sur la table. L’homme ressort pour aller appeler les secours. Gros. Fruste d’abord. Je l’appelle Emile Louis. Sauvez-le. Il m’aide. Je préviens Emmanuelle. « Ne t’inquiète pas, je vais bouger bizarrement, mais j’ai l’habitude ». Elle me dit de ne pas m’en faire. Je me laisse aller. Mes bras partent dans tous les sens pendant que je laisse mon buste se tordre aléatoirement, libération désordonnée de cette énergie intense qui m’habite. Elle ne bouge pas. Elle me tient la main. L’homme revient. Avec un fauteuil roulant. Accompagné par deux pompiers. Je m’installe dessus à contrecoeur. C’est lui qui me pousse. Sauvez-le. Il m’a aidé. Débarrassez-vous d’Emile Louis mais sauvez-le. Même si c’est l’un d’eux. Emmanuelle monte avec moi dans l’ambulance. Dominique nous rejoindra à l’hôpital. Elle continue à me tenir la main. Je me laisse aller. Je ferme les yeux. Sanglé sur le brancard à l’arrière de l’ambulance. Le trajet est court. A l’hôpital, on me transporte dans la salle d’attente, toujours sur le brancard. Je vais mieux. Je la regarde. Elle a le regard fixe, son bonnet enfoncé sur la tête. Un instant je pense que Björk est là-bas, derrière elle, dans la Machine. Folie. Totale. On m’emmène, toujours sur le brancard. Un infirmier qui parle avec un léger accent anglais. Un Américain sûrement. Un Kerry. Je l’appelle Adrian. Encore une vérification. Une jeune interne entre dans la pièce et me donne un thermomètre pour que je prenne ma température. Je m’exécute, mal à l’aise. Pourquoi est-ce nécessaire ? Elle revient, et me retire le thermomètre. Je la connais. Je la rebaptise. De mon nom. Fille de celui et celle qui portent le même nom sans être de ma famille. Des amis de ma mère. Elle aussi, elle vérifie. On me relâche enfin. Rentrés au chalet, Emmanuelle prépare mes affaires. Je ne veux pas repartir. Elle insiste. J’accepte. Je vais rentrer avec son cousin. Celui que j’ai appelé Sautter, comme Christian. Que j’ai marié avec celle que j’ai appelée Le Pen. Stupide. Et pourtant, je l’ai fait. A l’instinct. Plus tard je l’ai appelée Goitschel. Comme Christine et Marielle. Et j’ai marié Christine à Olivier Rey, l’ancien journaliste sportif. Au gré des coïncidences. La veille de mon entrée à l’hôpital, je l’ai vu. Lui. Chez Ruquier. Je lui ai dit que j’avais appelé sa fille Le Pen. Il a eu à cet instant précis un geste d’énervement ahuri, comme pour dire « c’est vraiment n’importe quoi ». Puis il a eu cette phrase, qui m’a glacé le sang. « Il faut nous faire confiance ». Le coup de grâce. La confirmation. Qu’on ne vous expliquait pas tout. Qu’on me faisait passer pour un fou. Un malade. Avant de me faire disparaître. Physiquement. Et de vos mémoires.

Les possibilités. Infinies. Tout était possible. Tout s’enchevêtrait, se démêlait avant de se renouer inextricablement. A l’arrêt de bus, un jeune homme taciturne fume des cigarettes le regard noir. L’un d’eux. Une victime. Le fils d’une victime. Je cherche. Un flic. Un flic assassiné. Par un de ceux que j’ai voulu garder parce qu’on me les a montrés sous leur nouveau jour, parce qu’on leur a permis de refaire leur vie. Je sais qui c’est. J’en avais fait un tueur d’enfants un instant, mais ce n’est pas possible. Je ne veux pas. Un assassin de flic. C’est moins pire. Je me hais. De penser ça maintenant. Devant lui. Qui peut m’entendre. Je me confonds en excuses, j’essaie de m’expliquer. Je me hais profondément. Et je vous hais de m’imposer cela. A la gare je continue à tourner et retourner dans mes pensées. Indéfiniment. Chaque personne qui s’impose aléatoirement doit trouver sa place dans une case. Je continue de recomposer les familles. Mon cousin. C’est mon cousin, pas celui d’Emmanuelle. Je ne l’ai pas reconnu. C’est possible, ça fait longtemps que je ne l’ai pas vu. Et puis la résonance dans la Machine accélère les modifications physiques. Sur le quai, je le lui dis. Mentalement. Il me regarde étrangement. J’ai raison, donc. Dans le train, je continue à chercher. Chirac. Ce n’est pas possible. Il joue un rôle. Il accentue grossièrement les traits. Il incarne le pire de la politique. L’ambition, l’absence totale de loyauté aux hommes ou aux idées. La ridiculisation progressive de la fonction présidentielle. Il doit nécessairement jouer un rôle tragique, extrêmement délicat. Parce qu’il le faut, pour grossir les traits avant la révélation finale, avant la grande explication. Je cherche désespérément depuis quand il joue. Il ne peut pas jouer depuis trente ans. C’est trop long. L’appel de Cochin. Le début du rôle. Trop long. Sauf si on a pu le déplacer dans le temps et l’espace. Par endroits et moments. Je cherche désespérément ce qu’il a fait de bien. Je veux trouver. Je veux le garder. Lui et Mitterrand. Deux rôles opposés et complémentaires. Je ne trouve pas. Je me dis qu’il a dû être un bon maire de Paris peut-être, j’étais trop jeune pour juger. Je cherche. Et soudain je le vois. C’est comme un rideau de lumière qui s’ouvre dans ma tête. Et je le vois. Jeune. Trente ans en arrière, avec ses grosses lunettes et ses cheveux plaqués en arrière sur son crâne. Pensif, la main sous le menton, le regard levé vers moi. A travers le temps. Il me voit. Dans le passé. Il me voit demander qu’on le garde. Demander sa grâce. Parce que j’en ai marre. De tuer. Je veux qu’on les garde. Tous. Il me voit. A bloc. Au bout de ma folie. Je suis en train de lui expliquer le chemin. De lui expliquer ce qu’il devra faire. Ce qu’il devra incarner. Jusqu’au bout. Pour nous. Pour que nous comprenions tous. Pour que tous ceux qui sont comme cela comprennent la vanité de leur route. Progressivement. Quand on le leur expliquera, quand on le leur montrera. Pour qu’on sorte de tout cela. Pour que chacun de nous règle son propre conflit interne autour du pouvoir. Parce que c’est possible. Je veux le croire. Je l’ai cru.

If I could be you
And you could be me
For just one hour
If you could find a way
To get inside
Each other's mind

So unless you
Lived your life
Of total perfection
You gotta be careful
Of every stone
That you should throw

Walk a mile in my shoes
And before you abuse, criticize and accuse
Walk a mile in my shoes

If I only
Had the wings
Of a little angel
Don't you know i'd fly
To the top of the mountain
And then I'd cry

Walk a mile in my shoes
And before you abuse, criticize and accuse
Walk a mile in my shoes

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