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Chroniques maniaques
10 octobre 2006

L’isolement – Skidoos (Akufen)

Isolé. Dans la machine. Le seul à ne pas être partie d’une paire. Des paires qui oscillent au gré des choix aléatoires ou algorithmiques de la machine. Des paires que l’on me montre progressivement, très similaires puis de moins en moins, au fur et à mesure que le voyage est sans retour. Isolé, face à la machine. Point central autour duquel tourne l’humanité dans les rotations qui accompagnent son destin ; accélérateur, catalyseur, illustrateur. Mouvement perpétuel de la fin de la vie. Le retour au Tao, au fonds primordial indifférencié. Ils ont utilisé la biométrie pour coupler le monde. Ils m’ont testé sans cesse, jusqu’aux derniers jours. Seul. Pire, isolé. La solitude est supportable. L’isolement ne l’est pas. Cruelle sensation que j’éprouvais de savoir qu’il ne sert à rien de tenter de parler, de tenter de briser cet isolement. Mouvements de recul à chaque tentative, même minime. Rejet des autres, rejet de moi-même. Isolé, seul, face à moi-même. Mon double. Dans le miroir. Pas très joli à voir. Les cendres de mon ego. Toujours vivantes. Les braises de mon ego plutôt. Asphyxiées. Mourantes. Mais toujours là. Laides. Instincts primaires. Manger. Plus. Fumer. Plus. Pas de partage, pas de dévouement. Plus rien que l’instinct de survie. M’en sortir tout seul, au milieu de l’environnement hostile que la Machine a construit autour de moi dans cet hôpital. Trouver le chemin ou le laisser se modeler au gré de la torture quotidienne qui m’est infligée. Celle du doute impossible à verbaliser, impossible à communiquer. Tout le monde joue contre tout le monde, dans le grand jeu du chaînage final. Je ne suis qu’un arbitre passif contre son gré. Isolé, dans la haine de soi.

Continuer. Lâcher prise, plus loin encore. Laisser la mort s’annoncer sans équivoque ; l’aider à choisir son instrument. L’empêcher de s’enfuir, se vautrer dans l’ambivalente beauté d’une dramaturgie parfaite. Finir seul. Une fois que tous seront morts autour. Partis dans un dernier trip dans la machine. Seul dans un monde vide, déserté de ses habitants. Des voitures, des immeubles, une ville entière pour moi tout seul, comme tombeau. Nettoyée. Prête à accueillir mes derniers instants. Il faudra que je lutte, que je me débatte jusqu’au bout. Ils ne veulent pas que cela soit facile. Ils ne veulent pas que cela soit doux. Il faut que je souffre moralement comme physiquement, pour sceller enfin le sort de l’humanité. Parce que je suis coupable. D’avoir laissé croître en moi cette folie qui se camouflait sous des airs de rédemption. Ils vont laisser des corps autour de moi. Par paires. Mais je resterai seul. Ils vont laisser des cadavres pour me contraindre à sortir, à m’enfuir, à quitter cette chambre et cet hôpital. J’aurais le choix entre crever là, me trancher la gorge avec un morceau de verre mal taillé, ou sortir, m’échapper pour une dernière course dans une ville fantôme. Jusqu’à la Seine. Ils veulent une dernière ligne droite pathétique. Un homme seul, en sous-vêtements, une couverture de l’Assistance Publique sur les épaules. Marchant dans la ville. Le long des quais. Jusqu’à trouver l’endroit idéal, un de ces petits amphithéâtres taillés dans le roc. Pour un cérémonial à deux balles. Me débarrasser de la couverture ; prier, une première et dernière fois, pour m’assurer que je n’ai pas menti quand j’ai dit que je pouvais désormais croire en un Dieu. Prier comme un dernier crachat à la face de ceux qui m’ont trahi et de ceux qui ont trahi Dieu ; ceux qui ont décidé que nous devions partir, pour le bien de la planète. Ceux qui ont choisi de mettre un terme à l’aventure humaine. J’ai peur de me débattre. J’ai peur de retarder sans cesse le moment du passage à l’acte. J’ai peur de nager, de résister, de remonter sur la berge. Combien de temps pourrais-je rester seul au monde sans perdre la raison ? Dans une solitude complète. Un isolement donc. Libre de bouger. Mais dans l’impossibilité de rencontrer quiconque. Combien de temps avant de pleurer ? Combien de temps avant de rire ? Par quoi passerai-je d’abord, le rire ou les pleurs ? Le rire, je crois. Un rire tragiquement pathétique. Un rire absurde. Préambule à la folie. Ou point final. Je marcherai dans la ville nue avec ce sourire étrange sur mes lèvres.

http://www.sonar.es/2003/eng/festival/news.cfm?id_noticia=141

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