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Chroniques maniaques
10 octobre 2006

La schizophrénie – Close your eyes (Bebel Gilberto)

Schizophrénie : n.f. Etat pathologique caractérisé par une déstructuration ou dissociation de la personnalité, qui est responsable d'une perte de contact avec le réel et d'une inadaptation progressive au milieu.

« Close your eyes, and you’ll never be alone ». Je n’étais jamais seul. Surtout les yeux fermés et le casque sur les oreilles. Tout le monde était là. Je les voyais. Je dansais avec eux. Perte de contact avec le réel. Monde fantasmé. Où tout était possible. Où tout devenait beau. Où Inès devenait une reine indienne et dans lequel je pouvais décapiter Antoine sans dommage, pour la beauté du geste, pour satisfaire cet instinct de vengeance que j’imaginais être le leur, celui de ceux qui ne connaissaient de lui que le portrait horrible qui en avait été nécessairement fait. Un monde dans lequel tous resplendissaient. Shiny happy people. Un monde dans lequel je pouvais défier le vent, seul au milieu d’une étendue désertique, vêtu d’un keikogi blanc et armé d’un bô dont les moulinets dessinaient des symboles infinis. Suspendu au bout d’une corde lumineuse infinie, je tentais de sortir du trou noir qui m’engloutissait pendant mon séjour à l’hôpital, attirant Veselka avec moi dans l’abîme et m’en excusant en permanence. Un monde virtuel dans lequel mon cerveau déchargeait sous des formes créatives le surplus d’énergie accumulé. Un voyage astral permanent, en des lieux et temps délinéarisés. Un monde dans lequel une Esther rajeunie et combattante se métamorphosait soudain en une Moksha virevoltante au gré du beat profond de Gus Gus. Une grande famille. Unie par les traits de ma pensée. Recomposée sans cesse, filiations inventives et renouvelées. Un monde imaginaire qui pourtant épousait de mieux en mieux les contours du réel, semblant s’ajuster sans cesse et ajuster le monde et les énergies de ceux qui m’entouraient. Un monde qui s’adaptait au milieu, dont les contours se modifiaient fluidement, dont la cohérence et la densité devenaient de plus en plus fortes. Vision, capacité de perception métaphorique et transcendante d’une réalité parallèle ? Délire imaginatif et illusion complète ? Décentrage progressif jusqu’à ce que la tension soit trop forte et que tout se retourne en un instant ? Cet instant où Maddalena m’a ramené à Janine. Number fourteen. Puis Maddalena elle-même. Logique. Number fifteen. La chute. Sans parachute. Il n’y avait plus qu’Elodie. Pour un double carré à seize. Puisque Maddalena aurait pu être Elodie. J’ai percé le sol à l’atterrissage pour plonger dans le gouffre de la paranoïa négative.

Inadaptation progressive au milieu. J’étais trop haut, beaucoup trop haut, puis beaucoup trop bas pour pouvoir être adapté au milieu. J’avais la sensation de le tordre avec une énergie surpuissante et de sans cesse pourtant être vaincu. Chaque victoire, chaque élucidation, chaque connexion n’était que le prélude à l’énigme suivante, venait bouleverser les schémas si patiemment élaborés. J’ai toujours pensé être très adaptable ; sensation étrange que de penser ne plus l’être. Sentir le monde glisser autour de soi sans pouvoir s’y accrocher. Ralentir. Progressivement. Se détacher plus avant. Faut-il que je lutte ? Faut-il laisser faire ? J’ai eu souvent la sensation de suivre la ligne de plus grande résignation, d’être courbé progressivement par la vie, par un flux immensément plus fort que mon petit moi qui tentait d’y résister. Courbé. Vers quoi ? Et jusqu’où ?

Et pourtant ma personnalité m’a semblé rester parfaitement structurée tout au long de ces montagnes russes. Si intensément logique. Même dans les pires moments de colère ou de résignation. Même dans ces accélérations foudroyantes qui apparaissaient incontrôlées mais toujours, systématiquement, logiques. Dissociation ? Pas vraiment ; même si apparaissait une forme de dialogue intérieur, de questions-réponses dont les réponses instinctives étaient confirmées ou contrebalancées par des sensations physiques correspondantes, dans le cœur, la poitrine ou le ventre. Même si j’ai au plus fort des difficultés, au sommet de ces pics d’énergie, pu entendre des mots, surgissant dans mon esprit comme un jet de lave trop longtemps comprimé au plus profond de mon inconscient. Des insultes. Et l’insoutenable « salope » qui venait instinctivement dès qu’une femme dévoilait un centimètre carré de peau trop proche de ces zones qui stimulent l’imaginaire ou laissait transparaître une partie de ses sous-vêtements. Saturation de l’esprit. Erotisme poussé à l’extrême du simple mouvement, du micro-dévoilement, de l’ondulation harmonieuse d’un corps. Fantasmes d’un seul coup rehaussés vers une épure magnifique et en devenant quasi-insoutenables pendant que je continuais en parallèle à raffiner ma liste. Ze fuckin’ list, comme je l’avais baptisée pour tenter de rire de tout cela, pour montrer au monde que je ne prenais rien vraiment au sérieux, que je ne faisais que jouer en attendant la fin de la partie. C’est dans ces instants que j’ai dit que la zone la plus érotique était pour moi ces quelques centimètres carrés de peau au dessus de la taille du pantalon, sur le flanc, à l’entrée du dos. C’était vrai ; c’était souvent insupportablement beau.

Schizophrène. Maniaco-dépressif. Malade. Sept semaines d’hôpital. Pour laisser retomber l’ébullition. Pour cesser de résister. Accepter d’avoir perdu. Attendre chaque jour de mourir demain. Réfléchir au meilleur scénario pour me suicider. Quand j’y serais contraint. Parce qu’ils seront tous partis. Parce qu’ils me laisseront seul. Avec la liberté de choisir entre le suicide et l’errance. Mourir de vieillesse seul au monde. De faim plutôt. Ou de soif. Parce qu’ils auront tout préparé, tout nettoyé. Coupé l’eau et l’électricité. Mis sous clé tout ce qui restait. Parce que je ne sais rien faire de mes mains. A part jouer du piano. Et taper sur un clavier d’ordinateur. L’ébullition est retombée. Il ne reste rien. Tout est là. Dans ma mémoire. Mais il ne reste rien. Le monde continue de changer. Je ne suis pas schizophrène. Je suis peut-être maniaco-dépressif. Malade pour toujours. Mais je ne peux pas repartir. Je ne constituerai plus jamais de liste. Ce n’est plus possible, je suis allé au bout. Je n’imaginerai plus qu’une Machine est là qui enregistre tout ce que je pense et le découpe pour le rediffuser hors du temps, dans le passé. Ce n’est plus possible. C’est fini. Trois ans. Un cycle complet de destruction ou de régénération pour laisser la place à autre chose. A ce qui remplira le vide créé. Rien peut-être. Ou de la lumière.

http://music.yahoo.com/track/1844708

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