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Chroniques maniaques
13 octobre 2006

La guérison – Mother (John Lennon)

Mon père est parti quand j’avais neuf ans. Je n’ai rien vu venir. Rien compris, rien anticipé. Ce départ est-il la source ou le catalyseur de cette insatiable soif de comprendre, d’anticiper le monde, de ne rien laisser au hasard ? Probablement. Et pourtant je n’ai pas souffert. Pas consciemment. Il était toujours là, régulièrement, un week-end sur deux et la moitié des vacances annuelles. J’ai développé une relation étrange avec lui, fondée plutôt sur l’échange que sur l’autorité. C’est ma mère qui a dû reprendre le flambeau difficile de la responsabilité et de l’autorité parentale. A l’adolescence j’ai progressivement fui son affection, me retranchant derrière une distance croissante au monde qui m’en protégeait. L’absence relative de gestes d’affection m’a conduit à les charger d’une signification énorme, à les rendre si importants qu’ils en deviennent dangereux de par leurs sous-entendus potentiels. Où est la limite, quelles sont les différences dans ce triangle affection-amour-désir ?

J’ai quitté la maison à dix-huit ans, pour venir terminer mes études à Paris. C’est à vingt-sept ans avec la découverte du shintaïdo qu’a commencé la lente montée intérieure qui va culminer dans l’explosion incontrôlée des trois dernières années. Jusqu’à aujourd’hui, à quelques semaines de mon trente-sixième anniversaire. Quatre cycles de neuf ans. Le quatrième se termine donc. Enfin. Une éternité. La moitié de ces trois dernières années consacrée à un voyage intérieur magnifique et cruel, sans concession, chaque journée du voyage semblant durer une éternité, chaque matin un éternel recommencement et pourtant si différent. Je suis guéri. Je ne peux plus replonger dans le même schéma, je l’ai épuisé, je suis allé au bout de ces idées extraordinairement persistantes et résistantes. Je les ai creusées, évidées, épurées jusqu’au plus profond de moi, jusqu’à percer le voile qui cache le vide qui se niche là, dans le noyau de notre être. J’ai combattu un ego multiforme, en métamorphose permanente, renaissant de ses cendres pour repartir à l’assaut du monde, en Don Quichotte pathétique et flamboyant. Cherchant à combiner humilité et confiance en moi, pour sortir de la modestie sans tomber dans l’arrogance. Nuances subtiles de la langue française qui sont si difficiles à exprimer par des mots. Ma modestie n’a longtemps été qu’un moyen de freiner un besoin de reconnaissance qui frappait à la porte de ma conscience sans relâche. Creuser plus loin. Par l’expérience. Mettre des sensations sur des mots, les vivre. Pour les comprendre.

Je suis guéri de cette ambition de maîtrise complète de moi. Je n’oublie plus mes médicaments. J’ai renoncé à dompter la biochimie de mon cerveau. Je sais que le danger rôde, mais je suis convaincu que je ne peux repartir dans les mêmes directions. Pas cette fois-ci. Je l’ai cru déjà, et j’ai replongé. J’ai frôlé la mort psychique, prélude à l’abandon de la vie physique. J’avais tendu cet incroyable et solide filet de sécurité qui consistait à n’envisager le suicide que contraint et forcé, laissé seul dans un Paris déserté de ses habitants. Isolé. Totalement. Psychiquement et physiquement. Mais j’étais convaincu que c’était ce qui allait se passer. Je m’y préparais. Tous les indices convergeaient impitoyablement vers cette seule issue. Tous jouaient autour de moi leur survie en m’enfonçant un peu plus, en me compliquant la tâche progressivement. Tout était fait pour que mon suicide ne soit pas facile. Pas de médicaments disponibles le jour venu, tout bien rangé ou détruit. Un monde propre. Dans lequel je serais contraint de trouver ma voie vers la mort. Sans aide aucune. Cela ne peut plus arriver. J’ai épuisé ce scénario, parmi bien d’autres. Trois longues années. Intenses et magnifiques souvent, douloureuses parfois. Débouchant sur rien. Pour la beauté du geste. Ou son ridicule. Guéri de tout au passage pour ne laisser que la blessure béante du vide.

Mother you had me, I never had you

I wanted you, you didn’t want me

I just gotta tell you goodbye, goodbye

Father, you left me, I never left you

I needed you so bad, you didn’t need me

So I just gotta tell you goodbye, goodbye

Children don’t do what I have done

I couldn’t walk and I tried to run

So I just gotta tell you goodbye, goodbye

Mama don’t go, Daddy come home

J’ai réécouté Mother avant d’écrire. Choisi aléatoirement par iTunes. Enfoiré. Véronique est passée dans le couloir, devant moi. A l’instant précis où Lennon chantait les derniers mots. « Mama don’t go, Daddy come home ». Elle a perdu son père. Elle est magnifique. Sa voix ressemble à celle de ma cousine. C’était la première des possibles. Number fourteen. Je lui ai dit. Dans ma tête. A un de ces cocktails de fin de semaine. Elle était là avec Salomé et Charlotte. J’étais en train de lister dans ma tête la filiation nouvelle que j’avais inventé pour Charlotte, pour la rapprocher de moi, en faire une petite cousine ou presque. Dans la conversation Charlotte a dit « c’est énorme » en hochant la tête. Comme si elle confirmait que tout était vrai. J’ai dit mentalement à Véronique qu’elle était la première des possibles sur cette liste que je réajustais sans cesse. Elle a eu un mouvement étrange de recul et a dit « ah bon ? » l’air gênée. Quelques instants plus tard j’ai révisé la filiation de Salomé. Pour en faire une victime potentielle de Fourniret. Sauvée. Parce que c’était possible. De revenir dans le passé pour les sauver. Quelques-unes ou quelques-uns. Une survivante. Elle m’a regardé avec des yeux étrangement émus, dans lesquels brillait une tonalité mouillée. Je me suis demandé pourquoi. Je me suis dit que c’était parce qu’elle savait ce que je traversais, et qu’elle savait que le chemin avait été long et difficile. Véronique. Je l’ai rebaptisée plusieurs fois. J’en ai fait une sœur de Moksha. Une fille adoptive d’Antoine. Je voulais simplement qu’elle soit forte. Pour qu’elle se sente à sa place dans cette liste. Je suis guéri. Il n’y a plus de liste. Il n’y a plus que des coïncidences. Toujours. Dans l’ordre du monde. Je peux continuer à jouer. A regarder ce qui me rapproche ou m’éloigne. Vivre au présent. Je l’aime. Elle aussi. L’amour. Vaste question. S’élargissant à l’infini lorsqu’on s’y plonge. Je crois. Si ce n’est pas une illusion de plus. A soigner.

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